DÉTERMINATION DES CONCENTRATIONS OPTIMALES DE VALINE ALIMENTAIRE POUR AMÉLIORER LES PERFORMANCES DE CROISSANCE ET L’IMMUNITÉ INNÉE DES CREVETTES JUVÉNILES BLANCHES DU PACIFIQUE (PENAEUS VANNAMEI)

Cette étude a évalué les besoins alimentaires en Val des crevettes blanches du Pacifique (Penaeus vannamei) en utilisant cinq régimes isonitrogènes et isocaloriques avec des niveaux de Val de 2,7, 5,1, 8,7, 12,1 et 16,0 g/kg. Pendant 8 semaines, des groupes de 12 crevettes (poids moyen : 0,46 g) ont été nourris avec ces régimes à raison de 2 % à 5 % de leur poids corporel. Le gain de poids le plus élevé a été enregistré dans le groupe Val 8,7 g/kg, tandis que la croissance a diminué à des niveaux supérieurs à 12,1 g/kg. L’indice de consommation s’est amélioré avec 2,7 et 16,0 g/kg de Val, mais les crevettes du régime de 2,7 g/kg avaient une efficacité protéique et des concentrations de Val plus faibles. L’inclusion de Val a notamment renforcé l’expression de la protéine de liaison du facteur de croissance analogue à l’insuline et des gènes liés à l’immunité dans l’hépatopancréas, le groupe recevant 8,7 g/kg présentant l’expression la plus élevée. L’étude a conclu que le besoin alimentaire optimal en Val pour une croissance maximale chez les juvéniles de P. vannamei est d’environ 9,54 g/kg (27,2 g/kg sur la base des protéines), avec une croissance maximale observée à 9,27 g/kg (26,2 g/kg sur la base des protéines).

1.     Introduction

La valine (Val) est un acide aminé à chaîne ramifiée (BCAA), ainsi qu’un acide aminé essentiel (EAA), avec des propriétés antioxydantes et anti-inflammatoires, qui est utilisé comme complément alimentaire dans les aliments pour l’aquaculture (Zhao et al., 2023). Il a été rapporté que le Val joue un rôle important dans diverses fonctions physiologiques chez les animaux, notamment la synthèse des protéines, la production d’énergie, les fonctions immunitaires et la réparation des tissus (Zhang et al., 2017). L’effet du Val sur l’immunité animale a été largement étudié ; par exemple, Chen et al. (2017) ont constaté que le Val est impliqué dans la phagocytose des macrophages et joue un rôle prépondérant dans l’inhibition de l’activité de l’arginase pour stimuler la production d’oxyde nitrique. Plusieurs études ont montré que des niveaux optimaux de Val dans l’alimentation peuvent améliorer la croissance et l’utilisation des aliments chez les espèces de poissons et de crevettes, notamment la crevette tigrée noire (Penaeus monodon) (Millamena et al., 1996), la dorade rose (Pagrus major) (Rahimnejad & Lee, 2013) et l’achigan à grande bouche (Micropterus salmoides) (Zhao et al., 2023).

Val est l’un des AAE les plus limitants chez la crevette tigrée noire (Millamena et al., 1996) car il ne peut pas être synthétisé biologiquement in vivo ; par conséquent, une supplémentation alimentaire en quantités suffisantes de Val est nécessaire dans les aliments pour poissons (Coloso & Cruz, 1980 ; NRC, 2011). Chez les poissons, une carence en Val alimentaire a entraîné une croissance limitée et de faibles réponses immunitaires non spécifiques chez la truite arc-en-ciel (Oncorhynchus mykiss) (Ahmad et al., 2021), le mérou hybride (Epinephelus fuscoguttatus ♀ × Epinephelus lanceolatus ♂) (Zhou et al., 2021) et le tilapia du Nil (Oreochromis niloticus) (Xiao et al., 2017). Il a été rapporté qu’un excès de Val alimentaire avait un effet négatif sur les performances de croissance et l’immunité innée chez le pompano doré (Trachinotus ovatus) (Huang et al., 2017). Même si les effets du Val alimentaire sur l’immunité des poissons sont bien compris (Luo et al., 2014 ; Xiao et al., 2017), l’utilisation et l’efficacité de la supplémentation en Val pour améliorer l’immunité des crevettes sont peu décrites.

La farine de poisson (FP) a été considérée comme la source suprême de protéines dans l’industrie de l’aquaculture en raison de son excellente qualité de protéine, telle qu’une protéine brute élevée et un profil d’acides aminés (AA) bien équilibré. Cependant, il n’est plus possible d’utiliser la FP comme principale source de protéines dans les aliments pour animaux, principalement en raison du prix élevé et de la demande croissante de poissons pélagiques pour la consommation humaine (Olsen & Hasan, 2012). Un mode potentiel d’utilisation des sources de protéines végétales en remplacement de la FP est de compléter ou d’enrichir les régimes alimentaires avec des Acides Aminés Essentiels (AAE). Il est essentiel de comprendre et de quantifier les besoins en AAE des crevettes pour optimiser les formulations d’aliments à moindre coût dans l’industrie de l’aquaculture.

La crevette blanche du Pacifique (Penaeus vannamei) est l’une des espèces de crevettes les plus importantes de l’aquaculture mondiale. Les besoins en AAE tels que l’arginine (Zhou et al., 2012), la lysine (Xie et al., 2012) et la thréonine (Zhou et al., 2013) pour P. vannamei ont déjà été étudiés. Néanmoins, à notre connaissance, les besoins alimentaires en Val n’ont pas été déterminés pour P. vannamei. Par conséquent, cette étude vise à déterminer les besoins alimentaires optimaux en Val en fonction des performances de croissance, de l’efficacité de l’utilisation des aliments, de la synthèse des protéines et des réponses immunitaires non spécifiques des juvéniles de P. vannamei.

2. Matériels et méthodes

            2.1. Aliments expérimentaux

Un régime de base a été créé en utilisant un mélange d’acides aminés cristallins sans Val, avec l’ajout de 5% de poudre de foie de calmar pour améliorer l’appétence. Pour atteindre des niveaux spécifiques de valine (Val), du Val cristallin a été incorporé à des quantités variables (0, 4, 8, 12, et 16 g/kg) en remplaçant la L-glycine, visant des concentrations finales de Val de 3, 6, 9, 12, et 15 g/kg. Les niveaux réels de Val mesurés dans les régimes étaient respectivement de 2,7, 5,1, 8,7, 12,1 et 16,0 g/kg. La préparation consistait à mélanger soigneusement les ingrédients secs, puis à ajouter de l’huile de poisson et de l’eau distillée. Le mélange était extrudé en granulés de 2 mm, séché et stocké à -24°C en vue d’une utilisation ultérieure.

       2.2. Essai sur les crevettes et l’alimentation

Les P. vannamei juvéniles ont été acclimatés pendant une semaine avant d’être répartis dans 20 bassins, chacun d’une capacité de 120 L, contenant 12 crevettes de taille similaire (poids moyen de 0,46 g). Les crevettes ont été nourries quatre fois par jour avec des aliments représentant 2 % à 5 % de leur poids corporel total pendant huit semaines. Le poids et le nombre de crevettes dans chaque bassin ont été mesurés toutes les trois semaines afin d’ajuster les quantités d’aliments en fonction du taux de croissance spécifique (TCS). Pour minimiser le stress, les crevettes ont été mises à jeun pendant 18 heures avant les mesures de poids. La photopériode a été fixée à 12:12 (lumière:obscurité), et une aération continue a été fournie pour maintenir les niveaux d’oxygène dissous. La qualité de l’eau a été gérée en échangeant 70 à 80 % de l’eau d’élevage tous les trois jours, en maintenant la température entre 29,6°C et 30,6°C, l’oxygène dissous à 5,56-6,01 mg/L, la salinité à 33 ppt et le pH entre 7,65 et 7,81. Les niveaux d’azote ammoniacal total ont été maintenus en dessous de 0,08 mg/L pendant toute la durée de l’essai.

     2.3. Procédure d’échantillonnage et méthodes analytiques

Après l’achèvement de l’essai d’alimentation, toutes les crevettes ont été pesées individuellement pour déterminer le poids corporel final, le gain de poids, le taux de croissance spécifique, le taux d’efficacité protéique, le taux de conversion alimentaire et le taux de survie. Huit crevettes de chaque bassin ont été sélectionnées au hasard, anesthésiées dans de l’eau glacée pendant trois minutes, et leurs hépatopancréas ont été prélevés dans des conditions stériles. Ces échantillons ont été immédiatement congelés dans de l’azote liquide et conservés à -84°C pour l’analyse ultérieure de l’expression des gènes liés à la prophénoloxydase (proPO), au lysozyme, à la crustine et à la protéine de liaison du facteur de croissance analogue à l’insuline (IGF-BP). En outre, quatre crevettes ont été congelées pour l’analyse de la composition proximale du corps entier et de la concentration en acides aminés (AA).

L’analyse de la matière sèche, des cendres et de la teneur en lipides bruts a été réalisée conformément aux lignes directrices établies par l’Association of Official Analytical Collaboration (AOAC) en 2005. Les teneurs en protéines brutes ont été mesurées à l’aide d’un analyseur automatique Kjeltec Analyzer Unit 2300. La composition en acides aminés des régimes alimentaires et des échantillons de corps entier a été déterminée à l’aide d’un analyseur automatique AA.

Pour l’analyse de l’expression des gènes, l’ARN total a été isolé à partir du tissu hépatopancréatique et la synthèse de l’ADNc a été réalisée selon les méthodes décrites par Hasanthi & Lee (2023). Les séquences d’amorces des gènes analysés sont fournies dans le tableau 2, la β-actine servant de gène de référence. Les niveaux d’expression relative des ARNm ont été calculés à l’aide de la méthode 2-ΔΔCT, et l’analyse de l’expression des gènes a été réalisée à l’aide de la technologie qRT-PCR.

         2.4. Analyse statistique

Les données ont été soumises à une analyse de variance à sens unique (ANOVA) à l’aide de la version 24.0 de SPSS (SPSS, Chicago, IL, USA). La normalité des données de chaque paramètre a d’abord été vérifiée. Les différences moyennes entre les groupes alimentaires ont été déterminées par le test de gamme multiple de Duncan, avec une signification de p < 0,05. Un modèle de régression polynomiale et un modèle de régression à ligne brisée ont été utilisés pour déterminer le niveau optimal de Val alimentaire basé sur la FBW des crevettes. Les données ont été présentées sous forme de moyenne ± SD. Les données en pourcentage ont été transformées en valeurs arcsinées avant l’analyse. Le contraste polynomial orthogonal a été utilisé pour évaluer si l’effet était linéaire et/ou quadratique.

3. Résultats

Fig. Relation entre le poids corporel final (g) et les niveaux de valine alimentaire basée sur (a) la méthode de régression polynomiale et (b) l’analyse de régression en ligne brisée, où X représente le niveau optimal de valine alimentaire pour les crevettes blanches du Pacifique juvéniles (Penaeus vannamei).

Les résultats de l’essai ont montré que les performances de croissance des crevettes s’amélioraient avec l’augmentation des niveaux de Val dans l’alimentation jusqu’à 12,1 g/kg, les meilleurs résultats en termes de poids corporel final (PCF), de gain de poids (GP) et de taux de croissance spécifique (TCS) étant observés à ce niveau. Inversement, les paramètres de croissance les plus faibles ont été enregistrés chez les crevettes nourries avec un régime contenant 16,0 g/kg de Val, bien que ces valeurs ne soient pas significativement différentes de celles des groupes à 2,7 et 5,1 g/kg de Val. Le ratio d’efficacité protéique (REP) était significativement plus élevé chez les crevettes recevant des régimes contenant 8,7 et 12,1 g/kg de Val par rapport aux autres groupes. En outre, les crevettes recevant les régimes de 8,7 et 12,1 g/kg de Val présentaient un taux de conversion alimentaire (TCA) significativement inférieur à celui des crevettes recevant les régimes de 2,7 et 16,0 g/kg de Val.

La prise alimentaire quotidienne (PAQ) est restée constante dans tous les groupes alimentaires, ce qui indique que la supplémentation en Val n’a pas affecté le comportement alimentaire. Notamment, l’expression relative de l’IGF-BP était significativement élevée dans le groupe Val 8,7 g/kg par rapport à tous les autres régimes. Les taux de survie des crevettes étaient compris entre 73% et 77%, ne montrant pas d’impact significatif de la supplémentation en Val. Dans l’ensemble, le FBW, le WG, le SGR et l’expression de l’IGF-BP ont montré des tendances quadratiques significatives en relation avec les niveaux de Val alimentaire, suggérant une relation complexe entre l’apport de Val et la performance de croissance des crevettes.

4.     Discussion

Dans cette étude, les crevettes nourries avec des régimes pauvres en Val (moins de 5,1 g/kg) ont présenté des performances de croissance et une efficacité alimentaire réduites, alors que les performances se sont améliorées avec des niveaux de Val allant jusqu’à 12,1 g/kg. Les besoins estimés en Val pour les crevettes (9,27-9,54 g/kg) correspondent aux résultats obtenus précédemment pour diverses espèces de poissons, mais sont inférieurs à ceux de la crevette tigrée noire et d’autres poissons. La variabilité des besoins en Val selon les espèces et les stades de croissance suggère la nécessité de formulations alimentaires sur mesure.

La recherche a également révélé que la supplémentation alimentaire en Val augmentait l’expression des protéines de liaison du facteur de croissance analogue à l’insuline (IGF-BP) chez les crevettes, probablement par le biais de l’activation de la voie de signalisation mTOR. Cette augmentation est en corrélation avec l’amélioration des performances de croissance, ce qui indique que Val peut améliorer la croissance en influençant les voies métaboliques clés.

Inversement, la carence et l’excès de Val ont eu un impact négatif sur les performances de croissance. L’excès de Val (>12,1 g/kg) a conduit à une réduction de la croissance, potentiellement due à des interactions antagonistes entre les acides aminés à chaîne ramifiée (BCAA) et à une augmentation de la dépense énergétique pour la désamination. Cela suggère qu’un apport équilibré en acides aminés essentiels est crucial pour une croissance optimale et l’absorption des nutriments.

L’étude a également évalué les effets du Val sur la synthèse des protéines et l’immunité innée. Des niveaux optimaux de Val ont amélioré le ratio d’efficacité protéique (REP) et la synthèse protéique du corps entier, tandis qu’un excès de Val a altéré ces processus. En outre, un déséquilibre en Val alimentaire a affecté négativement les réponses immunitaires innées, y compris l’expression de peptides antimicrobiens comme le lysozyme et la crustine, qui sont vitaux pour la résistance aux maladies chez les crevettes.

Enfin, bien qu’une augmentation de la concentration en Val alimentaire soit corrélée à une amélioration des taux de survie, les résultats n’étaient pas statistiquement significatifs. L’étude souligne la nécessité de poursuivre les recherches sur les effets du Val alimentaire sur la fonction immunitaire et la santé générale des crevettes, en fournissant une base pour les futures recherches sur les besoins en acides aminés dans l’aquaculture.

5. Conclusion

En conclusion, un niveau optimal de Val alimentaire a affecté positivement la performance de croissance, l’efficacité de l’utilisation des aliments et la réponse immunitaire de P. vannamei. Spécifiquement, le niveau optimal de besoin en Val a été estimé à 9,27-9,54 g/kg (base matière sèche, 26,2-27,2 g/kg de protéines alimentaires) par régression polynomiale et analyse de régression en ligne brisée du PCF.

Source : Ko D, Lee C, Lee KJ. Determination of optimal dietary valine concentrations for improved growth performance and innate immunity of juvenile Pacific white shrimp Penaeus vannamei. Fish Aquat Sci 2024;27(3):171-179.
https://doi.org/10.47853/FAS.2024.e17